- Oui ! Trop bien ! On a une sourie ! Bon, maintenant il faut l'enterrer pour pas que les charognards nous la pique. Et comme ça on peut aller en chercher d'autres, d'accord ?

J'étais tellement contente de cette partie de chasse ! Je n'allais pas repartir au clan sans proies, ce que je craignais ! Je hochais vivement la tête pour exprimer mon accord, puis il se mit à labourer de ses pattes la neige glaciale. Il rentrait presque entièrement dans le trou qu'il avait creusé. Quand il se releva, son pelage étant enveloppé de flocons, il s'ébroua, se qui acheva de tremper ses long poils. J'enfouis le rongeur, puis j'obturais la cavité de neige. Il saisit un rameau et le plaça devant le creux. J'étais extrêmement fière de notre prise, et je répondis à sa question:

- Bien sur! On va en trouver plein d'autres! Lorsque l'on reviendra au clan, nous en aurons tant que l'on pourra nourrir avec tous les anciens!

Je m'élançais vers d'autres buissons, puis me souvenant que je ne devais pas faire de bruit, je ralentis mon allure. Je me tournais vers mon ami pour voir s'il me suivait, et ses yeux croisant les miens me firent l'effet d'un courant électrique qui passait dans mon corps. Je secouais la tête pour me débarrasser de l'étrange sensation, et je lançais pour me donner une contenance :

-Tu vois des souris?

[On l'attrape, bien sur ! ]

- Non, mais là-bas il y a un lapin. Pour les lapins, faut mettre le poids sur l'arrière train. On l'entoure ?

Il fila taciturnement vers le gibier qui ne nous pretait pas attention. J'essayais bien de marcher avec tout mon poid sur l'arriere train, mais impossible de le suivre avec cette maniere extremement lente. Découragée, je marchais normalement. Mais il fallait bien avouer que je faisais plus de bruit que lui. Nous l'encerclâmes, et nous attendirent. Seulement, je trouvais que ca faisait un bon moment que nous guettions, et je finis par perdre patience. Je soulevais une patte tout ankylosée , mais lorsque je la reposais, elle atterit sur une brindille qui craqua. Aussitôt, le lapin dressa les oreilles, et avant qu'il ne puisse s'enfuir, je sautais à toute vitesse sur lui. Il voulait griffer, mais mes dents trouvèrent sa nuque, et Nuage de Papillon l'acheva d'un coup de patte. Enthousiasmée par cette proie énorme, je me tournais vers lui :

- On est trop forts ! , fanfaronnais-je.

-On est les meilleurs apprentis de toute la forêt !

Il se frotta contre moi en ronronnant, J’étais contente, moi aussi. Nous allions nourrir tout le clan à nous seuls ! Mais n’y avait-il pas autre chose à mon euphorie ? Depuis la mort de ma mère, je n’avais jamais été aussi heureuse. L’extase dans lequel je baignais, ce n’étais que l’adrénaline de ma course et de cette chasse fructueuse ? Ou, autre chose ?... Ce pourrait-il être Nuage de Papillon qui faisait ca ? Sa présence ? Serais-je … amoureuse ? Pour de vrai ? Je n’avais jamais connu ca… Moi qui pensais que jamais ca ne m’arriverais, j’étais bien désemparée dans cette situation. Bah, de toutes manières, que cela changerais t-il ? J’allais me taire, comme d’habitude, attendre silencieuse ce qui n’arriverais jamais. Et pourtant parfaitement consciente de ce que je raterais. N’était ce pas ca que Feu Follet me reprochait ? Oui, il parlait de mon caractère mutisme. Je ne disais jamais rien de ce que je ressentais, disait-il. Je me laissais battre par notre mère sans protester. Mais j’étais tellement persuadée de mériter ses coups… Je refoulais mes sombres pensées au plus profond de moi. Dire ce que je pensais, c’était revivre ce que je voulais oublier. Nuage de Papillon, inconscient de mes cauchemars internes, continua ;

-Aj', heu... il faut que je te dise quelque chose. Tu sais, aujourd'hui c'est une super journée. Il fait beau on attrape beaucoup de proies et je suis pas tout seul. Mais en fait et ben.....

Je savais ce qu’il allait dire. Mais je le redoutais, et je le désirais en même temps. Des larmes me vinrent aux yeux. Tais-toi, pensais-je, tais-toi ! Je voulais m’enfuir, loin, loin, loin… Mais les phrases, tellement belles, émouvantes, sortirent de sa bouche. Je voulais retenir les mots, arrêter le temps, revenir en arrière, mourir, même. Mais il parla.

-Je crois que tu vas me prendre pour un foue ou que tu vas croire que je me moque de toi, mais c'est faux. Quand je te vois, ça me donne envie de sourire, rire, jouer, me serrer à toi. J'ai l'impression que si tu n'étais pas là ma vie serait nulle et stupide. Mais tu es là alors c'est différent. Tu pense peut-être que c'est un peu tôt, mais c'est pas ma tête qui l'a décidé, c'est mon coeur. Nuage d'Ajonc, je suis amoureux de toi....

Des larmes de colère, de rage, de joie, de dépit, de quoi exactement ? Toujours est-il qu’elles jaillirent de mes yeux. Oh, qu’étais je stupide ! Je m’étais promis, il y a si longtemps, de ne plus jamais pleurer. J’avais oublié leur goût salé, la façon dont elles ruisselaient sur mon museau. Je secouai rageusement la tête. Puis je me dis que ce n’était si désagréable, en fait, de pleurer, d’évacuer toutes ses pleurs contenus. Alors je murmurais à Nuage de Papillon, ce que j’avais toujours voulu dire, mais que je croyais avoir oublié.

- Moi aussi je t’aime. Je voulais que personne ne le sache, mais à toi je te le dis. Je t’aime, et c’est grâce à toi que je pleure, non, pas à cause de toi, grâce à toi. Quang Feu Follet est parti, je m’étais juré de ne plus pleurer, mais aujourd’hui, tout ce que tu m’as dis, c’était tellement beau, c’était le reflet de ce que je ressentais et de ce que je n’arriverais jamais à dire. Mais aujourd’hui, c’est différent, et je te répète, je veux le dire à tout le monde, le crier partout, je t’aime !

Je me tus après ma déclaration embrouillée, et tout en ronronnant, je lui léchais affectueusement le front.