Un cri dehors.
Cri poussé par une voix féminine et autoritaire, celle de la meneuse, et qui tira un long soupir à Nuage de Luciole. Durant l’après-midi, on lui avait dit qu’au coucher du soleil, elle serait appelée pour se faire nominer apprentie-chasseresse. Tssk. Quelle mascarade. L’idée d’être convoquée de la sorte lui faisait plus à une comparution devant un tribunal formé d’une unique juge, la meneuse, qu’à un baptême quelconque, et bien qu’elle sût qu’Etoile d’Argent ne se forgerait aucun jugement sur elle – ce qui, d’ailleurs, l’intéressait à peu près autant que sa première dent de lait –, ce principe même d’autorité administratrice la hérissait. Elle avait beau ne connaître que peu la meneuse du clan du Lion et lui trouver une certaine sympathie dû à sa droiture, bien que la guerrière ne l’intéresse pas plus que ça, elle la considérait comme l’un des principaux instigateurs de ce qu’en son elle-intérieur, Luciole appelait le « complot des Etoiles ». C'est-à-dire la création d’une pseudo religion qui, paraissait-il, donnait des pouvoirs divins à la meneuse, que Luciole prenait plutôt pour une chatte qui s’était susnommée chef désignée des divinités par simple ambition, et à laquelle elle ne croyait absolument pas, étant donné que, selon elle, si lesdites Etoiles existaient, il y aurait nettement moins de cruauté dans la vie – comme par exemple, aucune mère morte en vous donnant la vie, aucun crime passionnel, aucun cœur brisé … - et, étrangement, elle était absolument ravie de cette souffrance caractéristique de la vie. Quel ennui si l’existence n’avait été ponctuée que par des évènements bienheureux. En y réfléchissant bien, en fait, il aurait suffit de cette succession de bonheur pour que quelqu’un ne décide de faire le mal autour de lui, par simple mépris des règles, par impiété ou par haine des Etoiles. Conclusion : quoi qu’il en soit, le clan des Etoiles, ce mythe pour enfant, n’était en fait …

« Allez Luciole, dépêche toi ! »

… qu’une mascarade depuis le tout début. Fin du cours de théologie avec l’intervention orale et bruyantede Sable du Lagon, la reine en charge de Luciole, qui se mit immédiatement à lécher le pelage crème de la petite. Allons bon, vas-tu me lâcher, foutue usurpatrice ? Et l’arrivée tonitruante du père de la petite qui se mit immédiatement à pépier que oh, comme il aurait aimé que la mère de la petite soit là pour voir ce jour merveilleux, oh, comme il était fier et …

« C’est bon papa, calme toi, tous les gosses passent par ici, c’est l’âge qui fait ça, tu sais, un truc sur lequel je n’ai absolument aucun contrôle, et donc par conséquent ce baptême n’est pas une récompense mais une simple formalité, donc tu n’as absolument aucune raison d’être fier, à moins que le seul fait de me voir vieillir, donc m’avancer vers la mort, te remplisse d’une joie immense. »

Silence radio dans la pouponnière. May day, may day, Houston, on a un problème. Et pendant que les félins présents dans la tanière ouvraient des yeux ronds comme des soucoupes, la petite se leva d’un mouvement habile, se dégageant fermement de l’étreinte de sa fausse-mère. Avec un soupir de fatalisme, la petite quitta le buisson en plantant là les deux adultes ébahis et s’avança sur la petite place. Quantité de chats déjà rassemblés. Dire qu’elle allait devoir se planter devant tout le monde, à la merci de leurs regards, près d’eux … Oh qu’ils pensent ce qu’ils veulent, ça elle s’en contrefoutait, mais elle détestait être exhibée comme une bête de foire et ce que les autres considéraient comme le comble de l’honneur était pour elle un passage pénible, mais un passage nécessaire. Foutue hiérarchie de clan. Serrant les dents tout en conservant un masque de neutralité parfaite, elle se planta devant la meneuse qui, ayant vu que tout le petit peuple était réuni, reprit la parole. Un mot dans son discours releva l’attention de la novice, qui plissa légèrement les yeux. Chasseuse c’est correct mais chasseresse ça sonne quand même mieux. Bon allez, continue. Nuage de Luciole. Très bien, ça ne surprenait personne. Et le mentor alors, ce foutu mentor, qui ce serait ?
Le nom tomba comme une sentence dans un tribunal.
Soleil Infernal. Bon, elle voyait bien qui c’était, un matou qu’elle avait dû croiser plusieurs fois dans le camp et à qui elle n’avait sûrement jamais adressé la parole. Rien de bien grave. Au mieux, il partagerait ses opinions et le courant passerait, au pire, il finirait en dépression dans la tanière de la guérisseuse à hurler pour qu’on lui retire cette tordue et son esprit pas normal. Bah, allez, rien de terrifiant quoi. Effleurant le nez du félin, elle recula, braquant ses yeux bleus sur la meneuse. Pourquoi avoir donné son apprentissage, à elle, Luciole, une gamine que ses camarades qualifiaient des fois de déséquilibrée mentale ou de tordue flippante, à un guerrier récemment nommé chasseur ? Elle aurait pu lui donner le fardeau d’un chaton moins … Dangereux ? Non pas pour le corps, cela va de soi, mais elle ne pouvait absolument pas garantir que l’esprit du félin ressortirait de ce tutorat dans le même état qu’aujourd’hui. Elle était trop différente, trop ennemie de l’autorité, trop misanthrope et trop cynique, tout simplement, pour qu’il ne soit pas marqué. Boarf. Tant pis hein, au pire il ne tiendrait pas, ça ne serait pas forcément une grosse perte. Au mieux ça marcherait bien.

Bon bah on verrait bien.