▬Quand je rêve...▬

J'y étais. De nouveau, je me retrouvai dans cette plaine. Partout, où que je pose le regard, il n'y avait que le tapis blanc, laissé par la neige. Ce rêve, je ne le faisais pas souvent. Et, habituellement, quand je rêvais de cet endroit, je me sentais heureux. Je me roulais dans la neige, j'admirais le ciel azur. Cette fois-ci, j'avais l'impression d'être incomplet. Il me manquait quelque chose. Instinctivement, j'hurlai:

- Papa !

Je courus, à la recherche de mon père. Où s'était-il caché ? J'étais inquiet ! Je grimpai jusqu'au sommet d'une colline. Mais plus j'avançai, plus la neige me ralentissait. "Jamais je n'atteindrai le haut de la colline" pensai-je, "Jamais je ne saurais si mon père est derrière !". Après un effort incroyable, je parvins à gravir la colline pour ne voir... Ou plutôt, pour ne rien voir. Une lumière m'aveugla. Et je me réveillai, mes poils blancs en bataille, dans la tanière des apprentis.

Je grignotai sans grande conviction une maigre souris, prise sur le tas de gibier. Elle était assez bonne. Non, en fait, elle était délicieuse, mais je me sentais si triste qu'elle me paraissait sans saveur. Je la repoussai de la patte et commençai ma toilette. Pourquoi j'étais si malheureux ? Le temps était magnifique - pour la saison des feuilles mortes -: un ciel bleu se tenait au-dessus de ma tête, et il n'y avait quasiment pas de vent. C'était une journée parfaite ! Et pourtant... Je décidai de me balader aux frontières de notre Territoire. Cela me changerait sûrement les idées !

"Finalement, mes idées sont les mêmes...". J'avais exploré une grande partie du Territoire du Clan du Tigre, sans que cela change mon humeur. En fait, j'aurais préféré ma promenade avec quelqu'un d'autre. Parler m'aurait peut-être permis d'éviter de broyer du noir. Je passai à côté des maisons de Bipèdes, mais m'en éloignai rapidement ; discuter avec l'un d'eux ne me paraissait pas être une bonne idée ! Mes pas me guidèrent vers la Rivières. J'avais passé les frontières du Tigre. J'étais sur les Terres libres.

Des feuilles rouges et oranges étaient tombées dans l'eau, et flottaient à la surface, emportées par le courant. Les arbres, sur ma droite, frémissaient à cause d'un vent fort qui s'était levé. Je pouvais sentir l'odeur de souris et de campagnols, mais je n'avais pas le coeur à chasser. Je voulais ne plus penser à rien. Pendant deux minutes au moins. Je suivis silencieusement le cours de la Rivière. J'arrivai à un petit pont de bois. J'avais envie de monter dessus. Il n'y avait pas de raison particulière. J'en avais juste envie. Je posai mes pattes sur le bois. C'était bizarre... Marcher sur du bois me donna des frissons.

Je m'assis sur le pont et me pencha à la surface de l'eau. Je vis mon reflet, mes yeux bleus de glace, mon pelage blanc d'hiver. Je soupirai. Vivement la mauvaise saison... J'entendis un craquement non loin. Un chat approchait. Il était du Clan du Léopard à l'odeur. Mais je restai penché sur mon reflet, me sentant trop fatigué pour lever la tête...