C.omment cela s’est-il passé? Mon reflet ne projette qu’une partie de mon visage. Je peux seulement apercevoir la moitié de mon visage. Le reste n’est que vide. Comme s’il me manquait mon autre moitié. Puis, tout doucement, j’entends de l’eau couler dans ce cours d’eau.

Plic…Plac… Plic…Plac…

M.on reflet se déforme tout doucement, comme si quelqu’un ou quelque chose est entrain de plonger une patte à l’intérieur. Puis, un nouveau visage apparaît. Flou, irrégulier. Pourtant, ce visage me fait penser à quelqu’un. Mais, je ne réussis pas à savoir qui. Je me penche davantage, pour mieux décerner les traits du reflet. Des yeux clairs, un sourire heureux, un pelage qui pourrait très bien ressembler à la Lune.

E.lle me sourit. Je pousse un hoquet de stupeur en reconnaissant la personne. Mais dans mon élan, je tombe dans le ruisseau. Je bats frénétiquement des pattes mais rien à faire. Finalement, je me laisse couler jusqu’au fond…

J.e me réveille en sursaut, des sueurs froides coulant de mon front. J’examine l’endroit où je suis et je constate finalement que je me trouve dans la tanière des apprentis. Ce n’était qu’un rêve. Un rêve tout à fait étrange toutefois. Je me lève sur ma litière. Je me souviens de mon rêve…enfin, seulement d’une mince partie.

Je me tourne vers Nuage d’Été, couchée un peu plus loin dans la tanière. Sa poitrine se gonfle au fil de ses respirations. Elle est si paisible dans son sommeille...

On aurait dit un ange endormi…

Brusquement, je la vois gigoter et aussitôt, je baisse les yeux au sol. Mais qu’est-ce qui me prenait aujourd’hui?

J.e l’entends s’approcher de moi à petites foulées rapides. Je penche encore plus la tête vers le sol. Je ne sais pas pourquoi mais, je commence à trembler à chaque pas qu’elle fait. Je relève un peu la tête vers elle, juste assez pour la voir s’approcher et apercevoir ses grands yeux pâles.

« - Bonjour Nuage de Minuit! »

Je me force de la regarder. Ses yeux aussi clairs que le jour… son sourire chaleureux comme le soleil…son pelage lunaire parsemé de reflets argentés…
Mais pourquoi l’avais-je aperçu dans ce songe? Mon imagination est-elle entrain de me jouer quelques tours?

Q.uand Nuage d’Été s’arrête devant moi, elle se penche sur ma tête pour me lécher entre les oreilles. Je tressaillis légèrement avant de me redresser. Nuage d’Été recule de quelques pas pour mieux me voir. Je relève au même moment la tête. Aussitôt, je fus attiré par son regard clair. Il pétille dans la semi-pénombre de la tanière. Ils sont si beaux…

« - Tu ne te sens pas bien ?»

Je ne dis rien. Je suis complètement perdu dans ses yeux. C’est bien la première fois que j’ai l’impression que ses iris illuminent ainsi dans le noir. Je me relève lentement, toujours en fixant son regard. Je suis attiré vers ses pupilles en amande.

« - …Tu tremble et tu es trempé! »

Je sursaute. Qu’est-ce qui s’était passé? Je regarde autour de moi avant de lui avouer :

« - J’ai eu une très grosse nuit… »

Après un moment, je me lève de ma litière avant de m’étirer et de me diriger vers la sortie de la Tanière des Apprentis.

« - J’avais envie de me promener aujourd’hui, sur le Pont de Bois. Ça te dirait de m’accompagner? »

J’attends sa réponse en fixant mes pattes, comme si elles sont les plus belles choses qui puissent exister au monde. Mon rêve me hante encore. Je ne comprends pas exactement sa véritable signification. La moitié de mon visage qui n’est qu’un impénétrable trou de vide et de néant infini. Le visage de Nuage d’Été qui apparaît à la surface du ruisseau, un large sourire aux lèvres. Son regard verdoyant qui illumine sous l’intensité d’une étrange lumière céleste, venue de je-ne-sais-où exactement. Tout ça! Qu’est-ce que cela signifie?

J.e ferme les yeux et je pousse un long soupir. Réfléchit Nuage de Minuit. Je suis persuadé que ce songe des plus bizarres veut dire quelque chose. J’en suis certain…

« - Ho oui! Avec plaisir! »

Je porte mon regard en direction de mon amie, toujours postée à quelques centimètres de ma litière de mousse. Je lui souris, essayant de dissiper mon angoisse face à mon rêve puis, nous nous élançons hors de la Tanière des Apprentis, au même rythme que le chant des oiseaux qui résonnent dans le lointain.

S.ans nous presser, nous franchissons les limites de nos territoires pour nous rendre directement au Pont de Bois. Un jour, j’avais découvert un objet très étrange là-bas. Je l’avais regardé, examiné sur tous les angles sans savoir ce que c’était exactement. L’objet était de forme cylindrique, un étrange cône avec plusieurs plis. Il possédait une magnifique couleur rouge-saumon. À l’intérieur, il faisait très noir. Un noir d’encre. J’avais mis l’objet de côté, espérant savoir ce que c’était un jour. Et aujourd’hui, je me suis imaginé que ce jour allait enfin arriver.

L.e voici, le fameux Pont en Bois. Il se trouve juste devant nous. Je ralentis un peu la cadence de ma course pour regarder Nuage d’Été qui s’approche.

« - Il faut que je te montre quelque chose. C’est un objet tout à fait magnifique, même si je ne sais pas exactement ce que sais. »

Au lieu de continuer en direction du pont, je m’élance vers un arbre, non loin de là et je commence à creuser sous la terre pratiquement gelée. Encore un petit effort… Oui! Je le vois! Il est toujours là et surtout, en très bonne état. Je le déterre avant de l’épousseter d’une patte mal habile.

« - Regarde… Tu ne trouves pas ça magnifique? »

Tout aussi intrigué que moi, Nuage d’Été se penche pour mieux pouvoir examiner l’objet en question. Elle le renifle avant de relever légèrement la tête, plissant son fin museau. Moi aussi j’ai eu la même expression quand je l’avais sentit. Une odeur étrange qui m’a toujours fait penser à la mer, à l’océan lointain et à son parfum piquant de sel. Par contre, l’odeur s’est pratiquement dissipée. Elle n’est plus qu’une légère et fine odeur d’eau salée.

D.’un vif coup de patte, Nuage d’Été le retourne dans tous les sens. Sa curiosité est sans borne. Elle l’examine, le scrute attentivement et le touche avec minutie, comme si cet objet est un véritable trésor, caché depuis des siècles et soudainement retrouvé après plusieurs années de recherche. Après un long moment, Nuage d’Été finit par mentionner:

« - On ne dirait pas un objet appartenant à un bipède! »

Effectivement, quand je l’avais découvert, l’objet ne portait aucune odeur de bipèdes. C’est pour cela que je m’étais autant approché de cette chose sinon, je pense bien que je ne l’aurais jamais touché ou même regardé. Je ne suis pas né de la dernière pluie. Je sais très bien que les bipèdes mettent, quelques fois, des pièges un peu partout dans la forêt pour nous attraper.

J.e m’approche de Nuage d’Été avant de me pencher, moi aussi, au-dessus de l’étrange cône.

« - En tout cas tu as raison, cette objet est magnifique! Tu l'as trouvé il y a combien de temps?

- Il n’y a pas si longtemps que ça, enfaite. Je chassais un rat d’eau quand celui-ci c’est rapproché de la rive et c’est là que je l’ais découvert.»

Je tourne l’objet de côté, pour mieux regarder l’intérieur.

« - Tu sais ce que je pense? Je crois bien que cet objet provient de la mer. Il aurait sûrement échoué ici, alors qu’il suivait le courant marin. C’est possible non? »

Je me retourne vers Nuage d’Été qui contemple l’objet en provenance de la mer. Ses grands yeux clairs scintillent tels deux étoiles de la voie lactée. Un large sourire commencent à prendre forme sur mon visage, sans même que je ne m’en rende compte. Nuage d’Été semble heureuse. Juste savoir cela me procure un véritable bonheur.

Nuage d’Été finit par relever la tête et m’annonce de sa voix claire et douce :

« - Je me rappelle que quand j’étais chaton un ancien m'avait raconté que certain objet provenant de la mer était soit des coquilles d'animaux soit des coquillages! »

Je plisse des yeux en reportant mon regard vers l’objet cylindrique. Un coquillage? Jamais entendu parler…Enfin, peut-être que si, finalement. Je me souviens qu’un jour, un guerrier de notre Clan m’avait raconté la même chose et qu’il aurait tombé, par hasard, sur l’une de ses coquilles à la merveilleuse couleur rose. J’avais été fasciné mais sans plus.

N.ous continuons à manipuler le « coquillage » de nos pattes, fascinés et intrigués à la fois. Je pense soudainement à une chose que le guerrier m’avait dite au sujet des coquillages. Il y a quelques personnes qui affirment avoir entendu le son de la mer à l’intérieur. Les vagues qui cognent les rivages, le bruit du courant marin…

« - Mais je ne sais pas si c'est vrai ou pas! Tu en penses quoi? »

Qu’est-ce que j’en pense? Ça se pourrait très bien. Qui sait? Nous n’habitons pas sur les rives de l’océan et donc, trouver des coquillages échoués sur nos terres est un évènement assez rarissime chez nous.

« - Ça se pourrait bien… De toute façon, plus rien ne m’étonne maintenant.»

Brusquement, des milliers de taches blanches tombent du ciel. Étonné, je lève les yeux vers le firmament, constatant que le ciel est voilé par de légers nuages gris. Il neige. Les cieux laissant déverser des centaines de flocons sur nous.

C’est l’hiver, c’est l’hiver, c’est l’hiver…

Flocons immaculés qui descendent du ciel, comme s’ils dégringolent d’un escalier. C’est beau, magnifique. J’adore quand il neige, recevoir ces centaines de petites boules blanches sur le museau. Puis, soudainement, Nuage d’Été me sort de ma rêverie éveillée.

« - J'adore la neige ! Et toi?

Je fais de mon mieux pour ne pas éclater de rire. Mais quelle question! Évidemment que j’aime la neige! Tout le monde aime la neige. J’allais répliquer, d’un ton rieur, mon point de vue quand Nuage d’Été reprit la parole avant moi.

« - Veux-tu rentrer au camp?
- Non!»

Dans mon élan, je me suis levé. Je cligne des yeux avant de me rasseoir lentement sur la nouvelle couche de neige fraîchement tombée du ciel. Je reste sans voix, ne sachant pas ce qui vient de me prendre. Je suis bien ici, sous les flocons, a discuté avec Nuage d’Été. Je ne veux pas partir, du moins pas maintenant. C’est comme si j’ai l’irrésistible envie de rester à cet endroit, à côté d’elle et de notre coquillage. À parler de tout et de rien. À jouer dans l’eau comme dans la neige. Je veux rester auprès d’elle. Je me sens si bien à ses côtés…

A.percevant que ma petite saute d’humeur avait paralysé Nuage d’Été, je lui souris, essayant de détendre l’atmosphère quelque peu tendu en ce moment.

« - Dis, est-ce que tu sais te battre? »

Mon amie ne semble pas bien comprendre où je veux en venir. Alors, sans même lui demander son avis ou attendre sa réponse, je lui envoie de la neige en plein visage avant de lui sauter dessus en riant.

Bien vite, Nuage d’Été se prit, elle aussi, au jeu. Nous rigolons en nous envoyant de la neige au visage. Ce moment me fait penser à la fois où nous jouions dans l’eau, dans la Petite Mare. Et évidemment, je ressens la même chose qu’à ce moment-là. De la joie, du bonheur pur que je partage avec Nuage d’Été. J’adore ces instants passés avec elle. Je ne suis pas obligé de jouer le gars qui a toujours la tête en l’air. Je peux rester moi-même en sa compagnie. Pourquoi? Parce que je crois que je peux lui faire amplement confiance. J’ai confiance en elle et elle à confiance en moi. Je pense bien que c’est cela qui m’attache vraiment à Nuage d’Été.

É.galement, je l’adore pour une deuxième raison. Elle aussi n’a jamais put connaître ses parents biologiques. Elle vit dans l’ignorance la plus totale, sans savoir et ni connaître ses deux êtres qui l’ont crées. Pourtant, Nuage d’Été vit sa vie comme tous autres chats sauvages, ne se souciant guère du passé. Elle a tourné la page, peut-être une chose que je ne réussirais jamais à faire.

T.outefois, je laisse mes mauvaises pensées de côté. Je continu de jouer avec Nuage d’Été, oubliant vite toutes ses émotions néfastes et nostalgiques. Qu’est-ce que je dois chérir maintenant? Le moment présent, le vivre au maximum sans un regard pour le passé.

P.uis, après une dizaine de minutes à se lancer de la neige au visage, à rouler au sol et à se chamailler comme des nouveaux nés, Nuage d’Été se relève et se tourne dans ma direction.

« - Non, je ne sait pas me battre! Pourquoi cette question? »

Je commence à rire, tout en m’ébrouant vigoureusement pour laisser tomber le grand manteau blanc qui s’est déposée sur mes épaules.

« - Ce n’était pas vraiment une question. Plus une sorte "d’élément déclencheur" avant que je te saute dessus. Tu comprends? »

Je la vois acquiescer. Je souris avant de me coucher de tout mon long dans la neige, regard en direction du ciel. Je reste ainsi, pendant un long moment, pattes avant repliées sur mon flanc, avant de me tourner vers Nuage d’Été, restée debout à mes côtés.

« - Est-ce que tu t’es déjà demandée d’où pouvait provenir la neige? »

Nuage d’Été semble surprise par ma question. Elle tourne son regard vers les cieux, contemplant les milliers de nuages gris qui y volent paresseusement. Tout doucement, lentement, au rythme du vent. Puis, elle s’assoit avant de porter son regard clair sur moi. Je ne bronche pas, continuant de contempler le firmament nuageux. J’entends à peine la réponse de Nuage d’Été.

« - Non ! Je ne m’étais jamais posé cette question! »

Ça ne m’étonne même pas pour dire la vérité. Personne ne fait vraiment attention à ce genre de chose de nos temps. Enfin, je suis peut-être le seul à me préoccuper de choses aussi impensables et absurdes.

« - Et à vrai dire je ne serais même pas y répondre. »

Je peux entendre de petits gloussements à coté de moi. Je me tourne un peu vers Nuage d’Été, juste assez pour apercevoir son regard sincère braqué sur moi. Aussitôt, je souris avant de reporter mon regard vers le ciel.

« - Et toi? Tu sais d'où viens la neige? »

Je ne détourne point les yeux du ciel, observant les flocons immaculés descendre vers moi, aussi mollement que s’ils étaient portés par un souffle de vent délicat. Je souris bêtement avant de soupirer et de baisser timidement les yeux vers mon ventre.

« - Tu va trouver ça stupide… »

Je lève un peu les yeux pour regarder Nuage d’Été. À son expression, on aurait dit qu’elle était tout ouïe à n’importe quelle explication. Alors, je pousse un profond soupir avant de déclarer :

« - Moi, j’ai toujours pensé que s’était les larmes du ciel qui s’étaient congelées pour former les flocons… »

J’ai l’étrange impression qu’elle est entrain de se moquer de moi. Toutefois, je la comprends parfaitement. Mon explication est des plus bizarroïdes et des plus saugrenues. Mais je n’y peux rien. J’ai toujours pensé ainsi, lors de mes dizaines excursions dans les bois alors que j’étais un jeune chaton. La pluie provient des larmes des nuages et la neige, eh bien… ce sont les larmes gelées de ces pleurs. Je sais, je suis vraiment quelqu’un de très étrange mais, depuis tout jeune déjà, les rêves ont toujours guidés mes pas…

Il y a un long silence qui s’en suivit. Je fixe toujours mon ventre, gêné. Je ne sais pas comment elle allait le prendre. Oh et puis! De toute façon, je suis sûr qu’elle comprendra et qu’elle me réconfortera avec ses douces paroles qu’elle seule a le secret. Mais pourtant, ses paroles si touchantes ne viennent pas. Là, je suis certain qu’elle me trouve bizarre. Mais complètement bizarre.

J.e soupire discrètement quand je sentis Nuage d’Été se coucher au sol, juste à quelques centimètres de là où je suis étendu. Ce ne fut pas bien long avant que j’entende résonner sa voix de miel à mon oreille.

« - Peut-être as-tu la bonne explication. Peut-être est-ce la réalité. Peut-être ne l'est-elle pas et dans se cas personne ne sait vraiment d'où viens la neige. »

Je cligne légèrement des yeux, ne sachant pas quoi répondre à cela. Je savais qu’elle me comprendrait et qu’elle ne se moquera pas de moi. Je le savais! Je me tourne vers elle. Elle sourit. Ses grands yeux scintillent sous les flocons qui lui tombent doucement sur le visage. Sa fourrure pétille, comme si elle est parsemée de paillettes d’argent. Comme dans mon rêve…

A.ussitôt, je détourne le regard, sentant mon pouls s’accélérer. J’ai des sueurs froides qui me coulent dans le dos. Mon cœur semble vouloir s’arracher de ma poitrine. Je n’ai jamais ressenti un si grand sentiment auparavant. C’est comme si tout mon corps allait s’enflammer d’une seconde à l’autre. Comme si mon crâne allait exploser dans ma tête. En bafouillant, je me relève, lui tournant le dos, avant de déclarer :

« - Je… je crois qu’il serait temps de rentrer maintenant. Tempête de Troubles doit sûrement m’attendre au camp et… »

Je secoue de la tête avant de rajouter :

« - Rentrons vite… »