La rosée était délicatement posée sur les joncs. Les faibles rayons de soleil traversaient les branchages de l'orée de la forêt. L'eau ruisselait tel un courant imperturbable. La brise froide, gelée, était à glacer le sang. Dans un bruit impénétrable, l'eau se jetait avec un fracas qu'il en était impossible de penser. L'écume était telle qu'on ne voyait plus les poissons nager au fond de l'étroite rivière. Le bruit de l'eau défilant vers le bout de son voyage est un son d'infortune, si banal mais tellement puissant et imposant. Du haut d'une simple colline, pouvait se déverser tout un torrent de larmes inaccessible. Du haut de la montagne pouvait tomber un déluge de pleurs interminables. Du ciel, l'on pouvait les regarder tomber. Des nuages, l'on pouvait les faire tomber. Pour qu'enfin elles atterrissent dans le lit de la rivière, traçant son chemin vers la sortie. Vers un endroit inconnu de tous. Elle allait de l'avant. Elle avait raison. La rivière apporte les réponses. Lesquelles ? Peu importe. L'eau coule, le vent souffle, la neige tombe, le feu brûle et le soleil brille. C'est évident. Tout le monde c'est cela. C'est un paradoxe. Mais parfois on l'oublie. Quand on se le rappel, on comprend que dans le monde, il y a tellement de chose que nous ne savons pas, et tellement de chose qui nous tiennent à cœur. Des choses que l'on ne veut pas perdre, jamais. Dès lors, on se bat. Peu importe si notre corps devient poussière, si notre esprit devient fou, tant que notre âme reste intacte et pure, l'impossible devient possible. Protéger les personnes qui nous sont chères devrait être la chose la plus précieuse de ce monde, je l'avais réalisé ce jour-là.

Je fixais attentivement les abords du fleuve. La terre était humide. Il restait à quelques endroits de la neige qui était tombée la veille. J'étais partie chasser, mais j'ai fini par faire ce que je faisais à chaque fois. Me perdre dans le paysage et mes pensées était malheureusement ce que je faisais le plus. Pourtant, je me sentais beaucoup mieux depuis ma rencontre avec Feu de cendres. J'avais parlé à quelqu'un de mes problèmes, comme si de rien n'était. Je finissais la proie que j'avais tout de même attrapée en chemin. L'air était vraiment frai, mais les quelques rayons de soleil réchauffaient les cœurs. Je ne saurais dire depuis combien de temps j'étais assis là, à regarder les effets de la nature se dérouler devant moi, mais il était temps de partir.
Un crissement, un bruit. Lorsque je me retournai, à ma grande infortune, Feu de Cendres était devant moi. Par quel miracle venait-elle aux mêmes endroits que moi ? Qui plus est, aux mêmes moments. Je ne pourrai répondre à cette question fastidieuse. Je m'assis calmement étonné de la voir ici et lui dit en souriant :

« Bonjour Feu de Cendres ! Cela fait bien longtemps que l'on ne s’est pas vu ! »

J'étais heureux de la voir. Avec elle je pouvais parler normalement, comme une amie.

Une fine pellicule de neige recouvrait le sol gelé de la forêt, devenant miroitante face aux rayons lumineux et pourtant froid du soleil. L'air était sec et tout aussi froid. On pouvait même apercevoir une fine brume blanche s'échapper de notre bouche à chaque fois que l'air en sortait. Si on levai la tête, on pouvait voir un ciel d'un bleu pâle et froid complétement dégagé, un ciel qu'on ne pouvait admirer qu'à cette période de l'année. La Saison des Neiges était belle et bien là à présent, et avec elle un autre état d'esprit avait pris possession des félins. Si au début de la catastrophe les chats du Tigre étaient terrifiés et en colère contre les Monstres, aujourd'hui ce n'était plus le cas. Non aujourd'hui, c'était l'inquiètude et l'incrédulité qui avaient pris place dans leur esprit. L'inquiètude face à ce que l'avenir leur réservait et l'incrédulité devant le silence du Clan des Etoiles. Mais voilà. J'avais décidé qu'aujourd'hui, j'irai quelque part sur les Terres Libres, loin de tout ces doutes. J'étais Lieutenante à présent et si je voulais être utile envers mon Clan, j'avais besoin d'avoir l'esprit moins ombragé et de prendre du recule sur la situation. Parce que pour pouvoir avancer dans la vie, il fallait parfois savoir reculer. Ou alors, si on était assez courageux, on pouvait tout aussi bien suivre le courant pour voir où il nous conduit. Et apparement, le courant allait me conduire vers un avenir dont je n'aurais pu soupçonner l'existance...

Bientôt, le bruit assourdissant de l'eau se jettant dans le vide sans la moindre hésitation se fit entendre à mes oreilles. Encore quelques pas, et je serais arriver aux Chutes. Certains diraient sûrement que c'est un endroit bien étrange pour réfléchir, étant donner le bruit monstre que faisaient l'eau en se fracassant sur les rochers se trouvant quelques mètres plus bas. Mais bien que cela fut assez bizarre, moi, ça ne me gênais pas. Au contraire, je trouvais cet endroit relaxant et j'étais persuadé qu'il était rempli de réponses ; il fallait juste savoir comment les trouver. Mais lorsque l'on se posait les mauvaises questions, il n'était pas étonnant de voir les réponses de celles qu'on ne se pose pas.

Plus j'avançais en direction des Chutes, plus ma vision se troublait. En effet, au pied des chutes d'eau se formait un épais brouillard dû aux remous qui s'étendait un peu partout autour des Chutes. Il fallait donc être très prudent quand on s'y aventurait sinon, on risquait de se retrouver emporter par la rivière. Heureusement pour moi, je connaissais bien l'endroit et je savais donc où je pouvais mettre les pattes. J'allais arriver au pied d'une chute d'eau quand j'aperçus une silhouette se dessiner dans la brume. De là où j'étais, je ne pouvais déterminer la nature de cette tâche sombre étant donné que le brouillard était plus dense à cet endroit. Je m'approchai alors tout en plissant les yeux pour découvrir à qui appartenait cette ombre. En m'approchant, je m'aperçus que la silhouette était celle d'un chat - un chat du Clan du Tigre d'après l'odeur que j'avais senti. Je me détendis à cette constatation et je ressentis même une pointe de joie en m'apercevant que ce chat n'était autre que Pic-Vert. Je le connaissais depuis longtemps vu qu'il faisait parti du Clan, mais je n'avais vraiment fait sa connaissance que depuis quelques jours, voir quelques semaines maintenant. Il faut dire qu'avec la mauvaise saison qui était arrivée, on avait pas vraiment eu le temps de se voir car on avait dû doubler les Patrouilles de Chasse si on voulait que le Clan ait assez à manger. Et apparement, lui aussi était content de me revoir car un sourire se dessina sur son museau.

« Bonjour Feu de Cendres ! Cela fait bien longtemps que l'on ne s’est pas vu ! »

Je souris à mon tour. Qu'il était bon de voir enfin un sourire sincère sur le visage d'un des mes membres de son Clan ! Et ça faisait encore plus plaisir d'en voir un sur le visage d'un ami. Je m'avançai jusqu'à arriver à sa hauteur afin de prendre place à ses côtés.Une fois assise, je m'autorisai à lui lécher la joue en guise de salut. Je ne savais pas comment il allait réagir, mais avec tout ce qui se passait en ce moment dans ma vie - l'Exil, la mort récente de mon compagnon et la tension entre ma fille et moi - j'avais besoin de l'affection d'un ami ou sinon, j'allais finir par craquer.

« Bonjour Pic-Vert ! En effet, ça fait un moment déjà ! Alors, ton esprit était-il moins tourmenté que la dernière fois ou me suis-je encore rendu dans un endroit pour les âmes en peine ? »

Mes moustaches frémissantes de plaisir témoignaient de mon humeur joyeuse. Pour une raison inconnue, j'étais contente de mon clin d'oeil de notre dernière rencontre. Il faut dire que j'avais un humour assez spécial qui ne faissait pas forcément rire tout le monde... Comme quoi, personne n'est parfait !

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