Le chat avançait avec mille précautions. Il ne s'agissait pas de se blesser, simplement de retourner dans un endroit aimé. Il avait du mal à se repérer au milieu de ces choses qui n'étaient plus vraiment ce qu'elles lui avaient semblé être autrefois. Autrefois, du temps où il voyait. Du temps où il savait retrouver son chemin n'importe où. Mais ce passé n'était plus. Pour lui seule existait cette nuit incessante, ce noir total qui l'emprisonnait. Il s'était éclipsé au petit matin. Il ne savait pas si on l'avait remarqué ou non. Il s'en fichait comme de sa première souris. Tout ce qu'il voulait c'était de pouvoir être un peu seul. Pouvoir penser loin de l'activité quasi frénétique qui agitait incessamment leur camp provisoire. Cela faisait bien longtemps qu'il n'y prêtait plus vraiment attention mais, ces derniers temps, cela l’oppressait. Les sons et les odeurs lui semblaient agressives, les voix criardes et les autres invivables. Invivable lui même l'était ces derniers temps. Non pas que son mauvais caractère fut une révélation en soit mais il avait passé un nouveau cap dans l'art d'être désagréable. Alors il était parti. Il avait fui cet univers confiné. Il avait fui les quatre murs de la tanière des Anciens pour tenter de renouer avec de vieux souvenirs enfouis. Ce n'était peut-être pas une bonne chose. C'était même très certainement une mauvaise idée. Il était peut-être aveugle mais pas parfaitement idiot. Il savait très bien qu'avec une telle cécité il avait de grandes chances de s'égarer et de faire une mauvaise rencontre. L'Ancien s'était juré de défendre chèrement sa fourrure miteuse même s'il devait se battre contre plus jeune et plus fort que lui.
Il chassa cette idée de ses pensées. Ce n'était pas le moment de se montrer pessimiste. Non pas qu'il soit un joyeux luron croyant fermement que tout finirait par aller pour le mieux mais il avait pour habitude de ne pas s'inquiéter du futur tant qu'il n'était pas encore là. Il avait bien suffisamment à faire dans le présent pour ne pas s'encombrer l'esprit avec ce qu'il comptait faire dans plusieurs jours. Il continuait d'épier les bruits et les odeurs qui lui parvenaient. Le soleil montait paresseusement dans le ciel et il en ressentait la chaleur dans chacun de ses membres. La lueur parvenait faiblement à son regard, juste assez pour qu'il se rende compte que ce n'était plus la nuit, ni même l'aube, mais plutôt que la matinée avait bien avancé. Il continua de progresser à son allure, plus si certain de s'être engagé sur la bonne voie. Cependant, une odeur puissante et enivrante de fleur ne tarda pas à se porter à son museau. Non, il ne s'était pas trompé de route. Il avait bien rejoint l'endroit préféré de sa défunte sœur. Au souvenir de la féline partie trop tôt un infime sourire triste vint orner ses babines. Elle lui manquait tant ... Elle aurait pu faire une magnifique Guerrière mais, surtout, une Reine parfaite. Elle qui était si douce et attentionnée aurait été merveilleuse avec ses petits.
Voile de Nuit laissa un soupir lui échapper. Il le savait que ce n'était pas une bonne idée de venir ici. Mais il était venu tout de même, exposant son cœur déjà meurtri à encore davantage de souffrance. Alors qu'il se laissait aller, tête et queue basse, allant entre les fleurs qui perdaient déjà de leur odeur.. On sentait approcher la fin de l'été et le début de l'automne. Alors qu'il en était là de ses réflexions le félin entendit un bruit. Un bruit de pas, le bruissement de quelques brins d'herbe et une odeur. Une odeur de chat. L'Ancien se retourna vivement, les poils de son échine se hérissant à demi. Il retint un feulement menaçant. Il ne savait pas à qui il avait affaire et, savait-on jamais, peut-être était-ce un ennemi. Au vu de son état physique il ferait mieux de ne pas provoquer qui que ce soit. Il se tenait cependant dans une posture défensive de celle qu'apprennent à adopter tous les Guerrier. Sa voix rauque, sans le moindre tremblement, s'éleva dans l'air.

- Qui que vous soyez je vous prierez de vous identifier. Je n'ai pas la mémoire des visages.

Il n'avait pu s'empêcher de se montrer sarcastique. Il était certain que l'intrus se trouvait là où il regardait. Il ne connaissait pas sa position tout à fait exacte aussi regardait-il peut-être par dessus son épaule ou juste à côté de lui mais il était certain que l'autre ne pouvait que remarquer la pellicule blanche qui recouvrait sa pupille et sa rétine.

- J'ai deux propositions : un illustre inconnu ou alors est-ce je ne sais qui qui t'as envoyé récupérer un Ancien indiscipliné.

Par principe Voile de Nuit tutoyait tout le monde. Il était très à cheval sur le respect que l'on devait à ses aînés mais il doutait malgré tout qu'il ait affaire à quelqu'un de plus vieux que lui. Mis à part lui quel Ancien partait seul en promenade de bon matin ?

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