Mes pattes me portaient d'un pas décidé sur le chemin de ma maison. Cet après-midi, les ruelles étaient étrangement calmes. A cette heure-ci habituellement, les petits des bipèdes jouaient entre eux sur les trottoirs. Mais le temps était probablement trop frai pour sortir. Seul quelques bipèdes passaient de temps à autres, mais rien d'excessif. Au moins, je n'étais pas dérangée par des cris et des mains s’agitant vers moi.

J'étais partie rendre visite à Chain, mais je ne l'avais pas trouvé au centre ville. Déçue, je m'étais alors résignée à rentrer chez moi. Il devait probablement être en train de chasser en forêt. C'était un des avantages qu'avait la vie de domestique, nous n'avions pas besoin de nous salir les pattes pour manger. Pourtant, une part de moi l'enviait. Le poisson frais que j'avais déjà gouté chez le poissonnier était bien meilleur que ma pâtée fade au goût saumon. Que devait-il en être des souris ou autres rongeurs ?
C'est l'eau à la bouche que je pris le dernier croisement qui menait à mon nid. J’aperçus enfin la clôture de mon jardin. et m'assit devant, prête à bondir et l’escalader, quand une voix derrière moi m'interpela.

« Hey ! Petite ! Ça va ? »

Surprise,je tourna la tête pour voir qui m'avait parlé. Une jeune chatte vint s'assoir à côté de moi, comme quand l'on retrouve un ami que l'on a pas vu depuis longtemps. Quelle drôle de façon de dire bonjour. Le félin en face de moi était à peine plus âgée, et ne portait pas l'odeur des bipèdes. J'en conclut donc que c'était une solitaire, une sans-collier. Je compris alors pourquoi elle m'avait abordé aussi facilement. Un domestique est souvent mieux éduqué et poli qu'un sans-collier, mais quoi de plus normal après tout, nous ne vivons pas dans le même monde. Sans vouloir la vexer, je fis un signe de tête pour lui dire bonjour et lui montrer l'exemple. Ma vie de domestique m'avait toujours apprise qu'il fallait me montrer polie envers les inconnus, et ce n'est pas aujourd'hui que ça allait changer.

« Bien le bonjour. Enchanté, je me nomme Lilou, et je me porte bien pour répondre à votre question. En quoi puis-je vous être utile ma chère ?»

« Tu es bien polie, dis donc ! Est-ce que je te déranges ? Je ne voulais que parler un peu. D'ailleurs, je m'appelle Nuage de Noisette ! »

Nuage de Noisette ? Quel drôle de nom ! Jamais je n'en avais entendu un semblable ! Mais pourtant, ce nom, et ce chat lui même m'intriguais. Que pouvait faire un chat sauvage ici ? Je me le demandai. Mon éducation domestique me disais de partir et de rentrer chez moi, avant que ce chat n'ai une mauvaise idée m’attirant loin de la maison, mais ma part de curiosité l'emporta, et je resta assise à l'observer, détaillant son pelage. Rien à voir avec le mien, propre et soyeux comme toujours. Je ne me risquais jamais à sauter dans la poussière, je tenais trop à la propreté. Ce qui ne devais pas être son cas, étant donné son apparence. Mais comment lui en vouloir ? Elle n'avait pas de maitre pour s'occuper d'elle, et lui dire ce qui était bien ou pas. Et puis vivre en extérieur ne devait pas être simple tout les jours. Elle jeta un coup d’œil vers le ciel. Je suivis son regard, me demandant en quoi les nuages et les astres pouvaient l'intéresser. Je n’eus pas le temps d'y réfléchir qu'elle se leva et me fis un signe.

« Ça te dirais de venir faire un tour avec moi ? »

Je la dévisagea. Moi ? Faire un tour avec un sans-collier ? Quelle drôle d'idée ! Et pourtant ce fus une idée qui me tenta énormément. Je fus prise d'une folle envie de partir devant elle, prête à la suivre n'importe où. Il est vrai que je sortais que peu de chez moi, et uniquement pour faire un tour avec des amis domestiques. Avec les plus courageux nous allions au centre ville, mais je n'avais pas été plus loin. Son invitation fut donc la bienvenue.

« Il y a des choses qui ne se refusent pas, je te suis ! »

J'étais toute excitée à l'idée de partir en exploration avec une chatte sauvage. C'était une expérience que je n'avais pas encore eu, et je sentais déjà les frissons de l'aventure me parcourir. Nuage de Noisette semblait tout autant partante, étant donné son sourire. Elle me fit signe de la suivre d'un mouvement de queue. Je m'élança donc derrière elle, ne pouvant plus attendre. Elle me donna un petit coup de tête sur les flanc accompagné d'un rire mélodieux. Je pris part à sa plaisanterie en riant gaiment. Je sentais que j'allais bien m'entendre avec la jeune chatte. Mais après quelques pas, elle se tourna vers moi, l'air préoccupée.

« Dis Lilou, est-ce que tu sais te nourrir par tes propres moyens ou te défendre...? »

Sa question me troubla. Voulait-elle parler de la chasse ? Et de me battre ? Jamais il ne m'étais venue à l'esprit d'agir ainsi. Je n'avais nullement besoin d'attraper de petites bêtes, j'avais de quoi me nourrir tout les jours dans ma gamelle. Et jamais je n'avais eu à me défendre face à une agression. La seule chose qui m’aie un jour attaqué était l'ours en peluche de ma jeune maitresse qui m'était malencontreusement tombé dessus. J'avais eu la peur de ma vie quand je m'étais retrouvée coincée en dessous. Je ne pouvais plus bouger d'une patte tant la peluche était énorme. Heureusement que mes maitres étaient venus me secourir, je ne sais combien de temps j'y serai rester sinon. Mais ce mauvais souvenir remontait à bien longtemps, et je secoua la tête pour me l’ôter de l'esprit.

« Oh non, jamais je n'ai eu à apprendre ce genre de choses. La vie de domestique ne m'en a pas offert l'occasion. Mais pourquoi ce battre ? Il y véritablement des chats sanguinaires qui vivent au creux de la forêt ? »

Je frissonna d’effroi à la simple idée de me retrouver face à grand chat aux yeux injectés de sang et aux crocs aiguisés comme des rasoirs. Les chats domestiques rependaient cette rumeurs depuis des générations. Jamais je n'y avais vraiment cru, mais cette perspective me fis froid dans le dos. Et si Nuage de Noisette était l'une d'entre eux ? Et si elle ne faisait que m'attirer dans un piège ?