Je posais enfin la patte sur la terre tant recherchée. Le clan du Léopard était là. Je sentais son odeur. Je la sentais tout autour de moi, sur l’herbe, dans les feuilles des arbres, dans l’air qui m’entourait. Cette odeur qui me rappelait ma mère. Cette odeur que je voulais mienne, odeur qui sera mienne. Je sentais l’herbe sèche sous mes coussinets, je sentais la terre, ses irrégularités, sa texture. C’était comme redécouvrir le monde. Redécouvrir les sensations. Je me mettais à revivre. C’était une nouvelle moi qui avait passé la frontière du clan. C’était une nouvelle moi qui comptait y rester. Je renais.

J’avais suivi l’appel des étoiles. J’avais suivi leur lueur qui semblait me montrer le chemin et j’y étais. J’y suis arrivée. Du haut de mes 5 lunes, j’avais accompli ce périple seule. C’était dangereux, irréfléchi, fou. Oui, c’était tout ça. Mais c’était aussi ma vie. Et tout cela avait un enjeu important pour moi. Maintenant que j’y étais, je me sentais comme libre, soulagée. Mais ce n’était que le début.

Certes j’étais arrivée à destination, le clan du Léopard. Mais fallait-il encore tomber sur un des guerriers, voir même le chef du clan. Chose qui ne serait pas des plus simples. A qui faire confiance ? Qui saura m’écouter et m’entendre ? Le meilleur scénario serait de tomber sur Étoile de Fumée, je crois bien que c’est son nom. Le chef du clan du Léopard saura. Il saura qui je suis, il saura quoi faire de moi. Je ne le connaissais guère, mais j’avais déjà cette confiance aveugle en lui. Je savais de par ma mère que c’était un matou loyal et droit. Puisse-t-il m’accepter au sein de son clan. Je me faisais beaucoup de soucis sur ce sujet. Car si jamais, on me renvoyait d’où je venais, je ne saurais que faire.

La chaleur pesante de l’astre de feu emplissait tout l’espace. Je sentais la soif monter et la fatigue en prime. Il me fallait du repos au frais. Je chercherais de l’eau plus tard. Les oreilles bien droites afin de capter le moindre mouvement autour de moi, je me remis à marcher en quête d’ombre et de fraicheur. Je ne connaissais aucun recoin de ce territoire, et je sentais une sorte de panique monter. Je ne savais pas où aller, ni où j’allais en ce moment même. Je ne savais rien d’ici. J’étais aussi vulnérable qu’un oisillon tombé au sol et ne sachant pas voler.

Le vent m’apporta les odeurs connues d’un saule. Sous ses branches, je pourrais sûrement faire une pause. Tout en gardant le rythme, je suivi l’odeur de feuille, d’écorce. Je le vis enfin. D’une hauteur majestueuse, il projetait son ombre sur une grande partie du sol. Un soupir de soulagement sorti entre mes crocs. L’heure du repos. Je m’allongeais donc sur l’herbe fraiche, profitant du moment pour étirer mes muscles douloureux de par le voyage. Les quelques rayons qui passaient entre les branches dansaient sur mon pelage rougeoyant. Malgré mes efforts, je ne pus lutter contre le sommeil qui me gagnait. Je fermais donc les paupières, laissant mon souffle se ralentir petit à petit.

Que dire en cette journée de Saison des feuilles vertes? Il fait chaud. Très chaud. En tout cas assez pour que des chats en soient contrits. Je soupire un peu et sort de mon Antre. Je vois au loin Caresse de Lune donner quelques ordres et j'en ronronne. N'arrive-t-elle pas à voir qu'elle est déjà douée dans son rôle? Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler à Douce Plume, mais il va falloir que je m'y attèle rapidement. Je ne veux pas laisser à Caresse de Lune un clan au bord de l'insurrection, de la rébellion. Je ne la vois pourtant pas dans les parages. Bon, j'ai bien envie d'aller me promener, tout en essayant de ramener un peu de gibier ou d'eau. Que ce soient les Reines ou les Anciens, ils auront besoin d'eau et ce n'est pas notre territoire qui possède le plus de points d'eau. Enfin bref, en sortant, j'aurais de quoi faire. Une rapide toilette et me voilà parti. Mes pattes me portent un peu n'importe où dans ces territoires que je connais comme les poils de mon pelage. En arrivant à la mare, je me souviens de mon but premier et avec un peu de mousse, je récupère l'eau si précieuse. Au moins, je n'aurais pas trop chaud sur le retour. Et je serais bien mouillé. Je grimace un peu à cette idée, mais bon, de toute façon, je n'ai pas vraiment le choix. Je grimace de nouveau en sentant la première goutte tomber sur mon pelage et je commence mon retour au camp. Ce faisant je me décide de passer par le Grand Saule. D'ici, cela constitue un raccourci. Je m'engage sur le chemin quand soudain je me stoppe, je me fige. J'en viens presque à lâcher ma boule de mousse. Je commence à trottiner plus vite et à m'engouffrer sous les branches de l'arbre. En apercevant un pelage rougeoyant, ma boule de mousse s'écrase au sol, éclaboussant mes pattes avant sans que pourtant je ne m'en aperçoive. Ce pelage. Cette odeur. Certes un peu différente, mais trop semblable pour que je ne puisse pas la remarquer. Un nom me vient, et franchit mes crocs en un cri.

"Papillon Cendré!"

Fort de ma décision, je me précipite vers le félin apparemment endormi, jusqu'à m'apercevoir que ce n'est pas mon amie. Mais pourquoi lui ressemble-t-elle autant? Cette odeur et ce pelage... Mais ce n'est qu'un chaton, mon amie n'en est plus un. J'ai pourtant l'impression de la voir, plus jeune, alors que je faisais mes premiers pas de Guerrier. Je tremble un peu, le pelage toujours aussi humide. Je la regarde, et plus je la vois, plus je vois ma chère amie. Mon adorable Lieutenante. Je demande à mi-voix:

"Mais qui es-tu?"

Je ne saurais dire combien de temps j’ai dormi. Mais je fus vite réveillée par toute l’agitation autour de moi. D’abord des bruits de pas, puis d’autres bruits sourds que je ne saurais reconnaître en étant endormie. Et enfin, un cri. Un cri d’espoir, un cri empli de sentiments, tous plus forts les uns que les autres. Un cri qui aurait été familier à ma mère.

« Papillon Cendré ! »

Le nom de ma mère sortit entre les crocs du matou tigré aux yeux jaunes. Il se précipita dans ma direction avant même que j’ai le temps de bouger la moindre moustache. Lentement, alors que je sentais le chat me fixer du regard, je me réveillais. Ouvrant la mâchoire, je baillais et me levais, faisant mouvoir mes articulations encore raides de sommeil. Je levais enfin la tête vers le matou et planta mes yeux verts émeraudes dans les siens. Ses pupilles jaunes, son pelage tigré. C’était bien lui, je le reconnaitrais entre milles. La description de ma mère était fidèle au modèle réel. Etoile de Fumée, te voici enfin. Je lui souris, d’un sourire de chaton inconscient et à la fois empli de joie.

« Mais qui es-tu ? »

J’étais persuadée qu’il avait une idée de qui j’étais, mais j’avais envie de faire durer le suspense, de faire durer le doute. Il devait savoir par lui-même, je ne lui dirais rien qui ne l’aiderait. Non rien.

« Mon nom est Papillon. Enchantée de vous rencontrer Etoile de Fumée. »

Sans crier gare, je lui dévoilais ma connaissance de son identité. Oui, je savais très bien qui il était, alors que lui devait apprendre qui j’étais. Mais cela m’était égal. J’avais une mission, et il en faisait partie. La suite de mon destin ne faisait que recommencer.